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 Pouvoir gris   

 

Faut-il avoir peur d'une France qui vieillit ? un livre de Jean-Philippe Viriot-Durandal, maître de conférences à l'université de Franche-Comté
Interview de l'auteur (BP)
                  Le Bien public-les Dépêches : Comment définissez-vous le pouvoir gris ?
                  Jean-Philippe Viriot-Durandal : " Le pouvoir gris exprime l'ensemble des pouvoirs politiques, économiques et sociaux que détiennent les retraités et dont ils peuvent user pour peser sur la société.
                  C'est le pouvoir du nombre tout d'abord. Les retraités sont plus de 12 millions. Les plus de 60 ans représentent plus de 20 % de la population mais surtout plus d'un quart du corps électoral et 30 % des votants. En 2006, les baby-boomers, qui sont particulièrement nombreux, vont commencer à rejoindre le groupe des sexagénaires, ce qui va considérablement renforcer leur poids dans la société française. Le second atout pour les retraités est l'augmentation de leur horizon temporel à la retraite. Entre le milieu du XXe siècle et aujourd'hui, le temps passé à la retraite a presque doublé. La retraite est devenue une véritable troisième période de vie après la période d'éducation et le travail. La bonne nouvelle est que l'espérance de vie sans incapacité augmente elle aussi à un rythme rapide ". BP-LD : Comment sont représentés les plus âgés dans les structures de décision ?
                  J-P-V-D : " Nous constatons un vieillissement des décideurs en France. En 1981, au moment du " changement " annoncé aux Français, 38 % des députés avaient moins de 45 ans. En 2002, le taux est tombé à 15 % ! Au niveau syndical, en 1982, l'âge moyen de l'élu était de 45 ans. En 2000, il est de 59 ans.
                  Évidemment, on ne peut comprendre le " pouvoir gris " sans se situer par rapport aux autres générations. L'engagement des jeunes dans les activités civiques et politiques est fondamental. Il renvoie à la responsabilité des jeunes générations face aux tendances à l'individualisation des droits, à la perte des solidarités collectives, et au manque d'engagement. C'est en favorisant l'engagement des jeunes et non en décourageant les bonnes volontés des seniors que l'on peut équilibrer le tonus des sociétés contemporaines ".
                  BP-LD : Pour autant, faut-il avoir peur du pouvoir des aînés ?
                  J-P-V-D : " Il faut se méfier des peurs irrationnelles. Si les plus de 60 ans sont nombreux, ils sont aussi divisés. Il s'agit du groupe social le plus hétérogène, ce qui implique des difficultés à se rassembler sous une même bannière. Les groupes de pression des retraités restent très fragmentés, notamment avec les conflits entre les forces syndicales et les associations indépendantes. Il existe néanmoins une dynamique du regroupement. Depuis 2000, quatre grandes organisations françaises de retraités se sont coalisées au sein d'une confédération française des retraités (CFR). Elles revendiquent 1,8 million d'adhérents.
                  Mais, en France, ces organisations restent peu professionnalisées et manquent de moyens financiers, contrairement aux lobbies américains. Elles peinent à mobiliser, voire à recruter de nouveaux membres. Aux États-Unis, non seulement les lobbies sont plus importants en nombre, mais ils sont plus cohérents et plus professionnels ".
                  BP-LD : Pensez-vous qu'une guerre des âges soit possible ?
                  J-P.-V-D : " La stigmatisation n'a jamais grandi le débat public. La question porte plutôt sur la manière dont nous allons partager les richesses et organiser les solidarités en société, que sur l'affectation des ressources entre les générations. Car les inégalités se creusent aussi entre les plus riches et les plus pauvres en général, quel que soit leur âge. A l'aube du nouveau siècle, un million de personnes ne percevaient que le minimum vieillesse. Des centaines de milliers de veuves n'ont qu'une retraite de réversion. L'idée d'une substitution de la lutte des classes par une lutte entre les générations butte sur la réalité quotidienne de centaines de milliers de personnes âgées qui contredisent l'image d'un groupe composé uniquement de riches. Pour autant, il ne faut pas ignorer la responsabilité des seniors et des retraités (.)
                  Chaque année, les plus de 60 ans remettent aux suivants plus de 20 milliards d'euros en dons et près de 40 en héritage. Quant à l'engagement social, les retraités constituent un des plus grands réservoirs de bénévolat. En définitive, le pouvoir gris a deux faces. La négative consiste à présenter ce pouvoir comme une accumulation de richesses économiques ou culturelles et de temps libre sans partage. Mais la face positive renvoie aussi à la manière dont ce potentiel des aînés peut être utilisé de manière équitable, solidaire et constructive sur l'environnement social, politique et économique.